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vendredi 12 octobre 2012

Cold Specks - I Predict a Graceful Expulsion (2012)








Les premiers vers de The Mark, la chanson qui ouvre l’album de Cold Specks, se sont imprimés dans mon esprit. « He left his mark upon my skin/ I said, i lost my loose heart to the cold, cold, wind.”  Pour Al Spx, qui les chante avec sa voix la plus impressionnante, ce n'est pourtant rien que des mots,  inventés et laissés et pâture, tandis qu’elle s’est déjà dissociée de toutes les retombées émotionnelles que pourraient lui procurer pareils mots et pareilles chansons. Peu importe si, depuis qu’elle les a expulsés, puisqu’il s’agit bien de cela, elle a reformulé ces mots avec un talent, une intensité, une aura grandissants ; elle s’en moque. « Je ne pourrais pas davantage m’en moquer. » Ce qu’elle dit avec un petit rire, effronterie presque. Cette désertion semble désagréable jusqu'à ce qu’on se rende compte de la vérité de son jugement. Les chansons lui ont bel et bien échappé dès lors qu’elle les a enregistrées. Ce que son disque résout sobrement. Arrachant des fragments de libération, pour en faire poésie très personnelle, la chanteuse demeure extraordinairement focalisée. « J'ai toujours eu l'impression que les premiers albums étaient votre greatest-hits, et que le deuxième est plus difficile », lâche t-elle comme pour expliquer sa grande inspiration pendant les deux années à se découvrir en tant qu'artiste, entre 2010 et 2012, deux années qui ont donné lieu à l'album. Elle est déjà sincère en reconnaissant qu’il pouvait y avoir comme une forme de triomphe moins évident à partager que de la noirceur pure et simple. «  Je ne sais pas de quoi ça parle. La mort. Laisser filer. Grandir. »
“I Predict a Graceful Expulsion” est un premier album hors du commun pour de nombreuses raisons. Une écriture spontanée, qui fait passer des images poétiques pour de l'existentialisme précoce et des humeurs contradictoires : appréhension et abandon. 'You cut me Open/Just to see what's within” sur “Elephant Head”. Une musicalité unique et étonnamment aboutie. Une guitare minimaliste, mais au caractère affirmé, évoque Smog ou les premiers Cat Power, ceci enrichi d'une envie de gospel et de blues, avec des chœurs, du violoncelle, du piano, une percussion inventive. Des chansons troubles interprétées par une artiste en mutation, et dont les doutes, dans une période préparatoire qui a été  difficile pour elle, sont venus s'appuyer sur de nouvelles certitudes, et sur l'idée confortée de ce qu'elle souhaitait désormais partager. 
Elle n'est pas la chanteuse ténébreuse que ses textes ont pu façonner ; pour s'en défendre elle remarque que ce n'est pas Al Spx qui a écrit les chansons, que celle qui porte le pseudonyme ne fait que les interpréter, et qu'il faut attribuer leur origine à la fille qui porte le nom véritable, celle à qui on a montré, alors qu'elle n'avait pas d'autres perspectives, qu'en jouant tous les jours de la guitare, en chantant quotidiennement elle pourrait ensuite former un album. Elle seule s'est rendue compte à quel point elle en avait envie. “I want to be ! I want to be !” s'exclame t-elle sur “Winter Solstice”. “Holland”, la chanson par laquelle elle a été révélée, a dès le départ suggéré une envie de célébration autant que le pouvoir d'attraction qu'exerçait sur elle les fatalités de l'existence. S'y côtoient les mots “Nous sommes nombreux, nous sommes unis”, mais l'humeur de la chanson fera que sur le coup on ne retiendra que “ De cendres nous retournerons aux cendres.” 
Dans ces conditions, les auditeurs avaient le droit d'imaginer qu'Al Spx est une personne désespérée. C'est au contraire une jeune femme au rire facile, qui donne l'impression d'avoir joué un bon tour. Tout l'intérêt est que ce soit aussi difficile à croire à l'écoute de “Lay Me Down” ou “Blank Maps”. “Lay Me Down”, la première chanson a avoir été écrite pour l'album, loin en amont de son enregistrement en 2011 à Londres, ne concerne plus du tout Al Spx telle qu'elle est, assise en face de moi, une heure avant de jouer au Point Ephémère à Paris. D'ailleurs, dans le beau fascicule illustré qui accompagne le vinyle, elle a préféré détourer sa main au stylo plutôt que d'en reproduire les paroles teintées d'une évocation de suicide. Elle ne la chante plus en concert. “Blank Maps” , de l'autre côté, est faite de résidus. C'est ce qu'elle me dit avec sa franchise, que je découvre de plus en plus désarmante. “J'avais besoin d'une chanson de plus, et j'avais toutes ces petites idées, ainsi j'ai décidé que plutôt que de toutes tenter de les terminer, je les combinerais pour en faire une seule bonne chanson. ” 
“Blank Maps” est désormais accompagnée d'une vidéo tournée dans une Angleterre désincarnée, mystérieuse, sauvage. Le refrain de cette chanson, “I a goddam believer”, 'Je suis une foutue croyante' est un sommet de l'album. C'est en entendant une telle phrase que j'ai cru que connecter Al Spx avec un Texan illuminé du nom de Josh t. Pearson, sur lequel j'avais déjà écrit un article, serait  une bonne idée. Ces deux artistes partagent le même label, Mute Records, et elle connaissait ainsi naturellement Pearson, célébré, il y a un an de cela, pour son album torturé et purificateur, “Last of the Country Gentlemen”. De ses concerts, celui-ci, très pieux, disait qu'il sentait 'devoir les faire pour le salut de son public'. Il avait quasiment vu des épiphanies et des miracles se produire pendant ses performances, un nombre conséquent de gens lui dire que sa musique avait changé leur vie. J'ai raconté à Al Spx combien Pearson, qui au départ avait enregistré l'album pour se débarrasser des chansons (lui aussi), et croyait ne pas pouvoir les interpréter en concert, a finalement trouvé beaucoup de force et de plaisir à le partager en public. Je n'ai entrepris toute cette pérégrination que pour essayer d'observer le lien qui unissait la jeune chanteuse de Cold Specks à son message apparemment spirituel, mais elle a détourné mon idée en décrivant en quoi consistaient les concerts de son point de vue – que je reporte plus loin. L'évocation de thèmes bibliques agit comme si elle se connectait à de vieilles superstitions enfermées dans de vieilles chansons de l’Amérique gothique. Elle reconnaîtra une certaine ambiguïté capable d'égarer. “Je pense que j'ai écrit à propos de la foi, mais pas de foi dans le sens religieux. La foi en l'amour, la foi en vous-même. Pas un pouvoir supérieur. Mais par certains égards j'étais attirée par des phrases qui se référaient à ce pouvoir supérieur.” 
Un peu désappointé, j'ai tenté d'inventer une aura de mystère à notre discussion quant à la pochette de l'album. Pourquoi ce titre ? Expulsion n'est pas un mot que l'on rencontre souvent dans un titre de disque. “J'ai trouvé cette vieille photo d'un ami à moi, avec son père quand il était gosse, au bord de la mer, avec cette grande vague, et j'ai pensé que cette image allait bien avec le titre. Cette phrase, “I predict a graceful expulsion”, elle me hantait. Elle parle de larguer votre passé, vos liens à des personnes.” Dans la chanson “Elephant Head”, la phrase est répétée avec une générosité terrassante. Si la pochette révèle finalement une chose, c'est une manière de mettre en perspective les générations, un aspect trahi déjà par la volonté de Al Spx de s'émanciper, de 'grandir'. On s'émancipe toujours par rapport à une référence, à un passé, parfaitement représenté ici par cette grande photographie d'un paysage rural en noir et blanc, de type Dust Bowl, à l'intérieur de la pochette. Une image que la chanteuse a emprunté à ses parents. “Mes parents sont géniaux, j'ai beaucoup de respect pour eux. Ils étaient des réfugiés qui ont travaillé pour les salaires les plus dérisoires et ont élevé sept enfants. Nous nous voyons, c'est seulement que nous n'avons pas la même vision des choses.” Ils continuent de désaprouver sa carrière depuis qu'ils ont découvert par hasard qu'elle chantait, dans une émission à la télévision. C'est pour les protéger qu'elle a choisi d'adopter un pseudonyme. La photo avec le père de son ami est comme une mise en abîme, évoque un courage qui se désagrège pour être laissé à l'état d'illustration, et pour être remplacé par les nouvelles audaces des enfants de la génération suivante. 
“Il fallait que ça arrive”, lâche Al Spx pour expliquer la manière dont l'album s'est mis en place. Chaque étape de son ascension, depuis le succès de la chanson Holland jusqu'à sa tournée Européenne, laisse ce même leitmotiv comme une évidence. Aillant d'abord quelque difficultés à apprivoiser sa voix, elle chantera quelques semaines plus tard une fière version a cappella d'une chanson traditionnelle, “Old Stepstone”, dans l'émission Jools Holland. Elle avoue aussi l'apprentissage du groupe difficile. “J'ai mis beaucoup de temps à m'accoutumer à jouer en groupe. Je n'avais jamais joué avec un batteur avant, et ça me rendait folle au début. Je ne comprenais pas les structures des chansons et n'étais pas très bonne pour ce qui est de compter les temps.” Et cependant, elle finit par reconnaître ne pas vouloir se passer d'eux désormais. L'album terminé, les défis relevés un à un, il lui restait à se résoudre à le promouvoir, se heurtant trop souvent à des journalistes qu'elle juge paresseux, en particulier lorsqu'ils la comparent à Adele. Un comparaison choc en Angleterre mais aussi en France, où la jeune chanteuse soul-pop est numéro 1. C’est cependant plutôt à une fille comme Anna Calvi qu’Al Spx s’intéresse, car celle-ci est parvenue a protéger son intimité et son mystère malgré son succès. 
Ces deux chanteuses se partagent l'expérience de quelqu'un : le batteur Rob Ellis. Egalement arrangeur de renom, notamment connu pour son travail aux côté de PJ Harvey depuis les débuts de celle-ci. Adoubé 'conseiller spirituel' chez Cold Specks, il est un garant que le tournée démarrée au mois de septembre 2012. Car en effet, la dernière étape sur le chemin de la reconnaissance est de loin celle qu'Al Spx regrette le plus de devoir mener. Elle me le révélera avec un aplomb mémorable. « Je fais des concerts parce que c’est la seule façon de vendre des albums. Je déteste jouer live. Je ne le fais que parce que c’est le métier. J’aime enregistrer la musique, j’apprécie d’écrire les chansons et de les enregistrer, mais tu sais que quand vient le temps de la tournée tu les détestes déjà, elles te rendent malades, mais tu dois les jouer encore et encore. C’est seulement une performance, donner aux gens ce qu’ils veulent, mais je me moque des chansons, pour être honnête. Je me suis complètement retirée de ce qu’elles peuvent provoquer. »« J’essaie de ne pas regarder le public. Je ne cherche pas à communier avec lui. Je suis seulement là pour jouer une heure, sortir de scène, aller au lit et me rendre dans la ville suivante pour recommencer, puis dans la suivante pour recommencer encore. » « Ce qui me fait avancer ? Ca paye mes factures. » Son pseudonyme lui permet le stratagème d'un quasi dédoublement de personnalité : elle a créé ce personnage différent de celle qu'elle était quand elle a créé ces chansons, ce qui paradoxalement lui permet, comme avec un regard extérieur, d'en tirer l'émotion la plus libre possible. 
En concert, Rob Ellis s’efface derrière la chanteuse, que cinq autres musiciens accompagnent. La meilleure idée, sans doute : un saxophone ténor, dont les longues notes graves gonflent l’émotion contenue dans les mots sourds, le timbre cotonneux et puissant d’Al Spx. Difficile de ne pas y imaginer la résurrection d’un blues engagé s’échappant comme une traînée de cendres. Les arpèges mineurs sur la guitare de la chanteuse résonnent bien au delà de leur simplicité. Une égérie du blues blanc de 85 ans, Barbara Dane, devrait un de ces jours finir, par oui—dire, par assister à l’un des ces concerts, dans lequel la voix d’Al Spx se fait chaque fois plus assurée, démesurée. L’album est bien loin désormais. A 24 ans, en quelques mois, Cold Specks a réussi à faire triompher les chansons. Son opinion sans concession que ces chansons doivent rester à leur place est le prix à payer pour qu’elle les interprète avec autant d’abandon. 
Le plaisir viendra encore à tête reposée ; en réalisant combien le simple plaisir musical habite la chanteuse. On se souvient alors qu'après avoir retrouvé avec un plaisir évident sa propre voix, dès les premières chansons du concert, elle a interrompu l'interprétation de l'album pour une reprise joyeuse du thème de la série télévisée “The Fresh Prince of Bel Air”. Puis elle s'est lancée dans une réinvention de la chanson “Reeling the Liars In”, les trois minutes les plus dénudées et ouvertement country à avoir été enregistrées pour un album de Swans par Michael Gira. Personne  ne se doute que la chanson préférée d'Al Spx sur son album est celle qui, arrivant vers la fin, laisse éclore une certaine forme de joie, “Steady”, avec cette phrase répétée sur un crescendo qui évoque, pour certains, Arcade Fire : “We have caught fire and the night is ours”. “C'est une chanson amusante à jouer, j'aime l'interpréter.” “Ce que je recherche dans une chanson, c'est toujours une mélodie solide, mais dès qu'on y trouve une voix originale et belle, accompagnée d'une écriture à la hauteur, j'ai à chaque fois l'impression d'être en présence de la chose la plus incroyable au monde. Mon occupation préférée, c'est de rester là, dans mon appartement à Londres, avec cette vieille platine des années 60, qui émet ces petits sons vraiment sordides quand vous passez des disques. C'est juste, c'est juste... la musique c'est génial.” 

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