“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

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Trip Tips - Fanzine musical !

lundi 13 juin 2011

Treme - 1ère partie

La tombe de Marie Laveau. 

 Un cottage créole dans le Treme.

John Boutté.

C’était une belle matinée pour un lundi, dans le courant de l’année 2000, quand John Boutté mit le nez hors de chez lui et entendit l’écho d’une grosse caisse investir les cottages créoles de sa rue. Un café à la main, il sortit pour trouver un groupe en action devant l’église proche – et c’est là qu’il eut l’idée. « Ils ne font ça nulle part ailleurs. Vous savez ce qu’ils disent à propos de l’arbre qui cache la forêt ? J’ai finalement vu l’arbre et la forêt tout à la fois ». Le contexte et les protagonistes, un tableau culturel et humain si souvent répété prenait une dimension suffisamment forte pour faire naître l’inspiration. Ce matin là, Boutté revint chez lui, s’assit à son piano et composa aussitôt une petite histoire évoquant ce qu’il avait vu : « Hanging in Treme/Watchin’ people sashay/past my steps/by my porch/In front of my door ». La simplicité des mots l’amuse aujourd’hui ; à l’aune de la carrière de Boutté, plus enclin à explorer les souvenirs poignants de ses racines créoles et néo-orléanaises, à se recueillir et à interroger le sens de la vie à travers la présence divine, The Treme Song était un pur moment de divertissement ; mais là encore il y chantait de tout son cœur, y insufflait une vie suffisante pour ressusciter les morts de Saint Louis cemetary et pour les faire parader sur la rue du même nom, dans les couleurs locales ; et pour éveiller l’affection jamais éteinte des vivants, population diverse et variée, envers leur chez-soi. La Nouvelle Orléans : cette ville nichée dans un repli du Golfe du Mexique, qui, par erreur disent certains, est américaine, alors qu’il s’agit probablement de l’île la plus au nord des caraïbes. 
Le cimetière de Saint Louis est peut être un endroit curieux pour commencer une visite, et pourtant il renferme quelques secrets qui font l’histoire de la Nouvelle-Orléans. Dans ses caveaux à la mode espagnole et française (des niveaux d’eau élevés empêchent d’enterrer les défunts) reposent un industriel du sucre et premier maire de la ville ; Benjamin Latrobe, le premier architecte professionnel des Etats Unis ; le premier maire Afro-Américain de la ville ; Paul Murphy, l’un des premiers champions mondiaux d’échecs ; et, depuis devenue une attraction touristique, la dernière demeure de Marie Laveau, la prêtresse vaudou qui attire encore l’espérance et les vœux. Sa magie mélangeait les saints catholiques et les esprits Africains. Coiffeuse à la ville, elle organisait des cérémonies au cours  desquelles elle appelait les esprits pour posséder ceux qu’elle invitait à participer, dansait nue autour de feux, disait  la bonne fortune, était supposée soigner les malades et sauver des hommes du gibet.
Un autre endroit inévitable est Congo Square, symbole de « libre échange » culturel. Il débuta au 19ème siècle comme l’endroit où les esclaves noirs se réunissaient le dimanche pour danser. De telles pratiques disparurent avec l’apparition des tensions avant la guerre civile. Des « brass bands » créoles donnaient des concerts et commençaient à adopter un style plus improvisé qui préfigurait  le jazz. De telles histoires peuvent paraître poussiéreuses dans la Nouvelle Orléans moderne, elles renferment une fierté non négligeable. Un de ces sentiments qui servent de ciment à la population des affranchis déportés d’Afrique, des créoles originaires d’haïti, des anciens européens ou autres acadiens, tous venus là avec leurs histoires, et, comme le chanteur soul/jazz John  Boutté, capables de les raconter.
Boutté est parfois présenté en ces termes : petit par la taille mais immense par le talent. Sa voix fragile et intense suscite souvent une comparaison avec Sam Cooke, dont il a repris le sublime A Change is Gonna Come (probablement l’une des plus belles chansons jamais enregistrées) en se montrant à la hauteur stratosphérique imposée en 1989 par Aaron Neville sur le plus gros succès des Neville Brothers, The Yellow Moon, où celui-ci l’avait reprise également. Boutté vit aujourd’hui dans une maison à deux pas de là où il a grandi, dans le quartier français, enfant d’ascendance créole. Il profitait alors de la rumeur musicale des mariages et des enterrements provenant de l’église devant laquelle il eut cette vision inspirant The Treme Song.  En passant dans la rue, on peut aujourd’hui l’entendre chanter une pièce de jazz ou une chanson coréenne – même à cette distance, avec tant d’élégance qu’on ne peut le prendre que pour un maître. L’élève Boutté jouait de la trompette dans les marching bands de son école ; et l’école lui donna aussi une chance de chanter, surtout a capella avec des groupes de rue. Dans cette ville, être musicien de rue est une chose qui est pour toujours respectée. L’école le soutenait aussi lors de compétitions de talent.
A l’époque Boutté débuta, étaient en odeur de sainteté Stevie Wonder et Marvin Gaye – son What’s Going On (1971) est inamovible, surtout après l’ouragan Katrina -, Roberta Flack et Donny Hathaway. La sœur de Boutté, Lilian, lui fait découvrir les légendes locales : Dr John, Allen Toussaint et James Booker. « I remember dancing in the kitchen with my lovely sisters » chante t-il sur l’une de ses plus belles réussites personnelles, Sisters. L’éducation catholique de John – avec un diplôme de finance à la clef - va aussi jouer un grand rôle dans sa personnalité artistique ; sa foi est transparente et son humilité immense. Son expérience à l’armée l’amena à intégrer et diriger des chorales, notamment en Corée. Puis il se trouvera un travail de bureau. Ce n’est que quand il rencontrera Stevie Wonder qu’il osera tenter une carrière artistique, la superstar lui disant qu’il avait définitivement sa chance comme chanteur. Le mot qu’il utilisa pour décrire la voix de John fut « incroyable ». Sa sœur Lilian l’invita ensuite à la rejoindre en tournée en Europe démissionna de son travail et ne le regretta pas. Sa sœur et deux de ses nièces ont tous également fait carrière dans la musique.
En 2000, John participe au projet Cubanismo ! S’ensuit l’acclamé Mardi Gras Mambo !, un disque qui explore les relations culturelles étroites entre La Havane et la Nouvelle Orléans. En 2001, il travaille en solo, et paraît At the Foot of Canal Street, album soigné sur lequel les reprises et les chansons traditionnelles réinterprétées avec une candeur unique côtoient deux chansons écrites avec son ami John Sanchez, qui fondera plus tard le label caritatif Treadhead Records. La chanson-titre est un classique dont tout le monde connaît les paroles à la Nouvelle Orléans : « Don’t waste your time/being angry… » « Avec ça, la voix de John est devenue officiellement ce qu’elle a toujours été pour moi, témoigne Sanchez. La voix de la Nouvelle Orléans, appelant les gens à rentrer au pays ». En 2004, environ 250 000 personnes, la moitié de la population locale, quittent la Nouvelle-Orléans pour une terre plus clémente, bien conscients de ce qu’ils laissent derrière eux. Beaucoup sont persuadés que la ville ne redeviendra jamais ce qu’elle était avant le désastre. Trop de dégâts, de pertes et de chagrin : il n’est de famille qui n’ait subit une perte. Pourtant, certaines des figures culturelles les plus emblématiques, telles Allen Toussaint et Dr John, resteront sur place ; et de nouveaux ambassadeurs furent trouvés, tels John Boutté.
Les concerts et les tournées américaines de celui-ci prendront une autre dimension après Katrina. « J’avais l’habitude de parler en l’air », raconte t-il. « Mais maintenant je réalisais que les gens me prenaient au sérieux. » Facile de s’attacher à cet homme fébrile et passionné. « Ce petit homme supportait tant de gens, quand lui-même était brisé », se souvient Sanchez. « Il avait l’habitude de reprendre des standards du jazz. Nous en avons parlé. Je lui ai dit, ‘en ce moment même de l’histoire de la Nouvelle Orléans, pour beaucoup de raisons, des milliers de gens se tournent vers toi. Si tu ne racontes pas l’histoire, qui va le faire ?’ » La fragilité de John lui fait créer une relation privilégiée avec son public. Il est capable de terrasser tout le monde d’un seul coup. C’est ce qui se passa lorsqu’il reprit en 2006 Louisiana 1927, une chanson composée par Randy Newman sur l’inondation de 1927 – l’une des plus fortes dans le contexte d’une reconstruction. « Louisiana/They’re trying to wash us away ». Il modifia la chanson pour en faire une complainte de près de huit minutes. « Le président Bush passe au dessus dans un avion/avec douze hommes gras, des martinis doubles dans leurs mains ».  La présidence de Bush a beau être un mauvais souvenir, la force de la prestation de Boutté ce soir-là restera durablement dans les mémoires.

At the Foot of Canal Street

Parution : février 2001
Label : Valley entertainment
Genre : jazz, soul
A écouter : At the Foot of Canal Street, A Change is Gonna Come, Black Orpheus

7.75/10
Qualités : romantique, heureux, attachant



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